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Place de la Mobilité Douce

Autrefois, au bon vieux temps de l'Union des républiques socialistes soviétiques, chaque petite ville se réjouissait d'inaugurer sa «Place de l'Amitié entre les Peuples», qui allait permettre aux habitants de se rencontrer dans un esprit de fraternité, de se retrouver dans une ambiance conviviale et de fêter l'avènement du socialisme loin des hideux ennemis capitalistes. Pour souligner la conformité idéologique de la manifestation, on plaçait un peu partout des drapeaux rouges et des portraits du camarade premier secrétaire du parti – que personne ne regardait mais qui témoignaient de la fidélité des autorités envers le régime. Les mamans et les petits enfants souriaient sur les photos, avant de retourner faire la queue devant les magasins d'Etat en rêvant de s'évader à l'Ouest.

Samedi prochain, la capitale vaudoise inaugurera une place de la Sallaz désormais dédiée à la mobilité douce, qui permettra aux habitants de se retrouver dans une ambiance conviviale, d'aller les uns vers les autres pour s'enrichir de leurs différences, tout heureux de trottiner au milieu d'une route d'où la municipalité communiste aura chassé les voitures infâmes et les diaboliques camions – mais ni les gentils autobus ni les sympathiques vélos. Pour souligner la conformité idéologique de la manifestation, toutes les routes alentours ont été décorées de pistes cyclables – qui ne seront peut-être pas utilisées mais qui témoigneront de l'attachement des autorités au mode de déplacement des ouvriers chinois à l'époque de Mao. Les mamans socialistes et les petits enfants souriront sur les photos, avant d'aller rechercher leur monospace pour partir faire leurs courses là où l'on peut circuler et se parquer, tandis que la place de la fraternité et de la mobilité douce sera progressivement rendue au désœuvrement et à la mendicité, aux beuveries et à la violence des jeunes, au commerce de la drogue et à la peur des riverains, aux salissures et déjections en tout genre. On traversera ces lieux en rasant les murs et en fixant le bout de ses chaussures pour éviter de manquer de respect aux occupants des lieux, comme on le fait déjà dans le centre-ville, en rêvant de ces paradis sûrs et riants que sont les bordures d'autoroute.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 18 novembre 2011)